Scatocafé

Quand on entend parler pour la première fois du Kopi Luwak, un café fait de grains récoltés exclusivement dans les excréments d'une civette asiatique, on ne peut s’empêcher de se poser des questions sur la genèse d'une telle boisson ainsi que sur la santé mentale de son créateur. Sérieusement, comment une telle idée a-t-elle pu germer ? Un jour un homme se lève, se brosse les dents et d'un coup se dit "Tiens, si je faisais un café avec les grains trônant dans les merdes de civettes ?". C'est peut-être lié à l'étrange et malsaine fascination pour les crottes animalières dont on est témoin à Eat'n Waf quand on regarde les mots clés qui ont conduit les gens chez nous (plus d'une centaine de "crotte de souris photo", quelques crottes de rat ou de cochon d'inde et même du crotte de mille patte et autre crotte de chameau sèche). Un type qui passe devant des civettes, décide de mater ces pauvres animaux qui font tranquillement leur pause toilette avec un sudoku, et pense à ingérer une partie de leurs déjections, est un cas qui relève de la psychiatrie section zoophilie scatophile.

Pour bien commencer, ma petite journée, et me réveiller moi j'ai pris un café

Pour bien commencer ma petite journée et me réveiller, moi j'ai pris un café

Au moins, ce monsieur peut entrer dans le club très fermé des "gens qui inventent des boissons à base de trucs récupérés dans des excréments d'animaux", aux côtés du thaïlandais responsable du café de bouses d'éléphants, de son compère japonais qui a aussi utilisé des grains pachydermiques mais dans une bière, la Un, Kono Kuro, et du chinois concepteur du thés de merde de panda.

 

L FAUDRA BIEN QU'JE DORME, LES FLICS VONT ME CHOPER, ALORS JE CLOUS LES PORTES, ET JE REPRENS DU CAFE!!!

Il faudra bien qu'je dorme, les flics vont me choper, alors je cloue les portes et JE REPRENDS DU CAFÉ !!! (1)

La civette palmiste hermaphrodite (Paradoxurus hermaphroditus) est un petit mammifère d'Asie du sud de quelques kilos et d'une cinquantaine de centimètres. Si en France les civettes sont surtout connues pour vendre du tabac, en Indonésie elles sont associées à une tout autre drogue : la caféine. Leur régime alimentaire est en effet constitué en partie de baies de café, ce qui explique sûrement pourquoi elles sont si actives la nuit. Le spectacle de ces bestioles défoncées au café, bourrées de tics nerveux en train de courir dans tous les sens doit vraiment être affreux, un peu comme nos collègues au boulot en fait.

 

Double digestion pour une meilleure efficacité

Double digestion pour une meilleure efficacité

Ces civettes, aussi nommées Luwak en Indonésie ne digèrent pas les grains de café et c'est donc naturellement qu'on les retrouve à la sortie un jour et demi plus tard. On ne saura jamais pourquoi (2), et je crois qu'il vaut mieux l'ignorer, mais quelqu'un a eu l'idée de récupérer ces grains, de les laver (enfin on espère), de les sécher et de les torréfier pour produire un café qui s'est révélé exceptionnel, le Kopi Luwak. Lors du passage dans le système digestif des petites bêtes, les grains de café sous l'action des sucs digestifs subissent une fermentation naturelle. Ils perdent une partie de leur amertume et tout en gagnant des arômes complexes ainsi qu'une certaine acidité. Les amateurs de café le décrivent comme l'un des meilleurs cafés au monde avec des arômes de caramel et de chocolat.

 

A quand du café de hérisson ou de cachalot ?

Humm la bonne odeur de ... café. Ça vous étonne ?

De par son mode de production, ce café est un des plus rares et des plus chers au monde (200€ le kilo minimum). Du coup marcher dans une merde de civette peut rapporter gros, même si ce n'est pas du pied gauche. Traditionnellement, ce café est issu des déjections d'animaux sauvages, mais devant l’engouement suscité par ce café de luxe depuis quelques années, on voit fleurir de nombreuses fermes en Indonésie, malheureusement souvent guère éloignées de l'élevage de poules en batterie. Contrairement à ce qu'on l'on peut lire, la production annuelle n'est pas de quelques centaines de kilos mais atteint plusieurs tonnes. En outre, il n'existe pas un seul kopi luwak mais une multitude selon la variété de café consommée par la civette, avec un goût et un prix très variables.

 

2€70 la tasse (5cL)

2€70 la tasse (5cL). Les cafés parisiens serviraient donc du kopi luwak ?

Vu le prix de ce café, Kephy et moi ne sommes pas loin d'envisager de nous recycler dans la production de café. On a même de grandes idées : du café de hérisson voire du café de cachalot. Mais avant de nous reconvertir, on va tout de même boucler ce test. Ce café à beau être  rare, cher, et avoir fait un premier séjour dans le ventre d'une bête avant de subir un deuxième cycle, il est bêtement marron avec une odeur de café, peut-être moins marquée que sur un café lambda. La différence se fait par contre sur le goût. Ce qui frappe dès la première gorgée c'est la douceur de ce nectar. Il est bien moins amer que les habituels breuvages noirâtres que l'on ingère à longueur de journée. Cela reste bien évidement du café, mais il a un petit quelque-chose de différent. On y  trouve effectivement un arôme caramélisé et l'arrière goût est très spécial : une note acide qui recouvre la langue et même si elle est légère, elle semble rester quelques heures en place malgré les verres d'eau.

 

Malgré ce goût très appréciable et la "légèreté" du Kopi Luwak, le jeu n'en vaut pas la chandelle. Le prix est définitivement trop élevé pour juste du café et l'exploitation des civettes avec gavage et cages minuscules est fort regrettable.

 

Verdict :

Giraf

 ★★★½☆ 

Le café est très bon, il n'y a pas à dire, peu amer et avec ce petit final surprenant, mais aussi très décevant. Je m'attendais à quelques chose de grand et de mémorable et pas à un "simple" café. Je suis sûr qu'il doit son succès en partie à son prix et à un effet de mode - snobisme. Vu le prix et le sort de ces pauvres civettes, je ne lui donnerai qu'un demi jambon d'or.

Kephy

 ★★½☆☆ 

N'aimant pas du tout le café, je n'en bois jamais, et je ne suis donc pas en mesure d'apprécier ce breuvage à sa juste valeur, et encore moins de le comparer avec un café classique. Cependant, j'ai effectivement trouvé que ce café, s' il a toujours ce mauvais goût si spécifique, était plutôt doux, avec une amertume moins marquée que dans mes souvenirs. Il s'en tire donc avec un jambon de bronze, là où d'autres cafés auraient subit une sanction plus lourde.

Gustarator

 ★★☆☆☆ 


En un mot : décevant. Je m'attendais à un goût plus exotique, au pire très différent. Il n'en est rien. Quelques instants après avoir bu, on sent un reliquat acide/amer sur la langue, faisant penser à une salade d'agrumes qu'on aurait dégusté il y a peu. À moins que cela ne provienne du dentifrice au citron du matin. En résumé, c'est un café oubliable qui n'est intéressant que par sa rareté. Je ne lui donne pas mieux qu'un jambon de bronze.

 

PS : Trouvable notamment sur Edible, 24£ (environ 28€) le paquet de 52g.

1. Photo par Praveenp sous licence Creative Commons CC BY-SA 3.0.

2. En fait on sait pourquoi. Au XVIIIième siècle dans les colonies néerlandaises des Indes Orientales (notamment à Java et Sumatra), les propriétaires de plantations de café interdisaient à leurs employés locaux d'en récolter une partie pour leur usage. Ces derniers durent donc se rabattre sur les grains trouvés dans les crottes de civettes pour goûter ce stimulant breuvage.

FacebookTwitterGoogle+Email

Pour un article lu, trois offerts :

Une réponse à “Scatocafé”

Laisser un commentaire

Archives
  • 2018 (17)
  • 2017 (26)
  • 2016 (36)
  • 2015 (37)
  • 2014 (58)
  • 2013 (73)
  • 2012 (81)
  • 2011 (129)